A
n
n
e
 
R
o
g
e
r
-
L
a
c
a
n

Le Corbeau et le Renard

Maître Corbeau, sur un arbre perché,

Tenait en son bec un fromage.

Maître Renard, par l’odeur alléché,

Lui tint à peu près ce langage :

“Hé ! bonjour, Monsieur du Corbeau.

Que vous êtes joli ! que vous me semblez beau !

Sans mentir, si votre ramage

Se rapporte à votre plumage,

Vous êtes le Phénix des hôtes de ces bois. ”

A ces mots le Corbeau ne se sent pas de joie ;

Et pour montrer sa belle voix,

Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie.

Le Renard s’en saisit, et dit : “Mon bon Monsieur,

Apprenez que tout flatteur

Vit aux dépens de celui qui l’écoute :

Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute. ”

Le Corbeau, honteux et confus,

Jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus

La Cigale et la Fourmi

La Cigale, ayant chanté

Tout l’été,

Se trouva fort dépourvue

Quand la bise fut venue :

Pas un seul petit morceau

De mouche ou de vermisseau.

Elle alla crier famine

Chez la Fourmi sa voisine,

La priant de lui prêter

Quelque grain pour subsister

Jusqu’à la saison nouvelle.

“Je vous paierai, lui dit-elle,

Avant l’Oût, foi d’animal,

Intérêt et principal. ”

La Fourmi n’est pas prêteuse :

C’est là son moindre défaut.

Que faisiez-vous au temps chaud ?

Dit-elle à cette emprunteuse.

– Nuit et jour à tout venant

Je chantais, ne vous déplaise.

– Vous chantiez ? j’en suis fort aise.

Eh bien! dansez maintenant.

Le Curé et le Mort

Un mort s’en allait tristement

S’emparer de son dernier gîte ;

Un Curé s’en allait gaiement

Enterrer ce mort au plus vite.

Notre défunt était en carrosse porté,

Bien et dûment empaqueté,

Et vêtu d’une robe, hélas ! qu’on nomme bière,

Robe d’hiver, robe d’été,

Que les morts ne dépouillent guère.

Le Pasteur était à côté,

Et récitait à l’ordinaire

Maintes dévotes oraisons,

Et des psaumes et des leçons,

Et des versets et des répons :

Monsieur le Mort, laissez-nous faire,

On vous en donnera de toutes les façons ;

Il ne s’agit que du salaire.

Messire Jean Chouart couvait des yeux son mort,

Comme si l’on eût dû lui ravir ce trésor,

Et des regards semblait lui dire :

Monsieur le Mort, j’aurai de vous

Tant en argent, et tant en cire,

Et tant en autres menus coûts.

Il fondait là-dessus l’achat d’une feuillette

Du meilleur vin des environs ;

Certaine nièce assez propette

Et sa chambrière Pâquette

Devaient voir des cotillons.

Sur cette agréable pensée

Un heurt survient, adieu le char.

Voilà Messire Jean Chouart

Qui du choc de son mort a la tête cassée :

Le Paroissien en plomb entraîne son Pasteur ;

Notre Curé suit son Seigneur ;

Tous deux s’en vont de compagnie.

Proprement toute notre vie ;

Est le curé Chouart, qui sur son mort comptait,

Et la fable du Pot au lait.

Untitle 13
2022